Kristina Arakelian

“Je suis en train de suivre la nature sans être capable de la saisir, je dois peut-etre aux fleurs d’être devenu un peintre” - Claude Monet 

Verger de pruniers en fleurs. Il est possible que cette expression ou un visuel vague qui y est associé ressurgisse lentement dans votre mémoire. Certaines images, fortes de leur langage visuel, s’inscrivent dans notre mémoire indépendamment de notre volonté. Comme les morceaux de musique, répétés en boucle dans les publicités, émissions et cinéma. On les reconnait au son, mais sommes parfois incapables d’y donner un nom ou une circonstance de création.   

Il y a quelques temps je partageais avec vous la photo d’un coucher de Soleil. Des branches sombres sont visibles en contre-jour. La lumière d’un Soleil d’hiver vient frapper l’arbre en créant une aura envoûtante, allant du rose au jaune pâle. 

Cette vision, fascinante en personne, est difficile à reproduire de façon fidèle en photographie. Elle a été représentée par d’innombrables photographes, peintres et passionnés, pour des résultats très diversifiés, mais toujours aussi inspirés.

Lors d’une ballade hivernale j’ai tenté de saisir l’instant sans comprendre ce qui m’appelait dans cette composition. Des semaines plus tard, j’ai retrouvé ma photographie et c’est alors que ça m’a frappé. Mon inspiration a été manipulée par ma mémoire.

Aujourd’hui, je veux vous parler de deux auteurs incroyables qui ont été touchés par une composition identique, bien que l’un des deux était plus fasciné par le premier plus que par le paysage.

Blooming plum garden Verger de pruniers en fleurs
Verger de Soleils - photographie par Kristina Arakelian, 2021

Verger de pruniers en fleurs au pays du Soleil levant

Entre 1856 et 1858, Utagawa Hiroshige ( né en 1797 à Edo et mort le 12 octobre 1858 à Edo ), entreprend la réalisation de l’une des séries majeures qui va marquer sa carrière : Les Cents Vues d’Edo. 119 estampes sont ainsi réalisées à l’aide de la gravure sur bois afin de représenter les vues et destinations de Edo (Tokyo) les plus populaires.

Ainsi en novembre 1857 est réalisée l’une des estampes le plus célèbres de cette série : “Le jardin des pruniers de Kameido” (亀戸梅屋舗, Kameido Umeyashiki).

Le quartier de Kameido est situé dans à l’est de la capitale, dans l’arrondissement de Kôtô. On dit qu’auparavant ce quartier était une île à la forme de carapace de tortue, “Kame” en japonais. Avec le temps l’ile aurait fusionné avec la plage et hérité le nom de Kame-jima 
Plusieurs théories existent quant aux vergers en floraison, la plus courante étant que le riche commerçant Iseya Hikoemon aurait planté des pruniers sublimes dans les jardins de sa résidence secondaire. Peu importe l’origine de ces jardins, nous savons qu’ils ont attiré beaucoup de curieux, en donnant à Hiroshige l’inspiration nécessaire.

Le prunier représenté par l’artiste japonais avait le nom de Garyūume, “dragon au repos” , un nom qu’il devait à son tronc grimpant. L’arbre a été emporté par une inondation en 1910. Une stèle est toujours présente sur les lieux avec l’inscription : “Vestige du verger des pruniers”.

Voici comment ce verger est décrit dans la Liste des lieux célèbres d’Edo : “ Il ressemble vraiment à un dragon à terre. Les branches s’entrecroisent et semblent se transformer un en nouveau tronc. L’arbre s’étend vers la droite et gauche. L’arôme des fleurs fait oublier celui des orchidées, le blanc lumineux des fleurs serrées l’une contre l’autre emporte le soir. “

Blooming plum garden Verger de pruniers en fleurs
Le jardin des pruniers de Kameido - Hiroshige Utagawa, 1857

Talents surprenants

Plusieurs particularités font la célébrité de cette estampe. Tout d’abord il s’agit de ses couleurs. Le blanc, le rose et le rouge de son ciel se superposent en subtile gradation marquant le spectateur par sa simplicité réaliste. Ce dégradé témoigne d’un savoir-faire important dans la réalisation des estampes, que ce soit de la part du créateur, du sculpteur ou des coloristes.

Toutefois, l’élément le plus phénoménal de cette œuvre est sa composition. En effet à une époque où la photographie n’existait pas encore et où les angles de représentation étaient plutôt classiques, il était rare de voir des visuels coupés en plusieurs plans, surtout aussi forts. Le fait de représenter un tronc au premier plan d’aussi près au lieu d’un arbre entier était une avancée majeure dans les arts visuels avec un point de vue créatif et unique.

Japonaiserie : pruniers en fleurs, Vincent Van Gogh, 1887

L'admirateur admiré

Ces éléments poussent en 1887, l’un des admirateurs les plus connus de Hiroshige de produire une copie de cette estampe sur toile. Il s’agit de Vincent Van Gogh ( né le 29 mars 1853 à Groot-Zundert, aux Pays-Bas et mort le 29 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise, en France ). Comme Monet, Van Gogh est fasciné par les estampes japonaises et accumule une collection impressionnante de gravures.

Au milieu du 19ème siècle après l’ouverture du Japon à l’occident, se développe en France le style artistique de japonisme. Attiré par celui-ci, Van Gogh achète ses premières estampes à Anvers. Par la suite, avec son frère Théo, ils réunissent une collection de plus de 400 œuvres, exposées maintenant au musée Van Gogh d’Amsterdam.

Vincent copie les estampes à la peinture à l’huile. Certains éléments sont repris à l’identique, d’autres personnalisés. Parmi ces œuvres copiées on peut citer “La courtisane” de Eisen ou “Ohashi, averse soudaine à Atake” de Hiroshige.

En observant de près les travaux du peintre hollandais, on reconnait une évolution vers les couleurs plus franches et les contours marqués si caractéristiques des estampes japonaises. Ceci toujours avec les coups de pinceaux caractéristiques des œuvres de Van Gogh et sa fluidité incomparable.

Dans ses nombreuses lettres à son frère, Vincent témoigne de son affection pour l’art japonais et écrit : « Tout mon travail est un peu basé sur la japonaiserie… ».

Une danse d’embranchement végétal sur fond d’un ciel rose orangé, source d’une histoire d’inspirations infinies, qui a commencé plus tôt qu’on le pense et qui n’est pas prête à s’arrêter. Finalement une œuvre, une fois réalisée, vient s’inscrire dans la nature. Désormais elle fait partie de l’Univers, source d’inspiration pour ceux qui viendront après.

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